Jimmy Cliff à Carthage : la chasse à l’interview

Jimmy Cliff s’en est allé, mais pour moi il restera lié à une nuit de juillet 1997 au Festival International de Carthage. Une interview arrachée à la dernière minute, après 24 heures de poursuite, qui m’a fait comprendre ce que j’aimais vraiment dans ce métier : la rencontre avec l’artiste… et la détermination pour y arriver.



Jimmy Cliff, une légende qui s’éteint

Le 24 novembre 2025, Jimmy Cliff, né James Chambers en 1944 en Jamaïque, est décédé à 81 ans des suites d’une crise convulsive suivie d’une pneumonie.

Pionnier du ska, du rocksteady et du reggae, il a contribué à populariser la musique jamaïcaine dans le monde entier avec des titres devenus emblématiques comme Many Rivers to Cross, You Can Get It If You Really Want, The Harder They Come ou encore sa reprise de I Can See Clearly Now.

Pour des millions de personnes, Jimmy Cliff, c’est une voix qui parle de résistance, d’espoir et de dignité. Pour moi, c’est aussi un souvenir précis : un concert à Carthage, une chaîne de télé, un couscous de dernière minute… et une interview qui m’a conforté dans l’idée que j’aimais autant la chasse à l’interview que l’interview elle-même.


Carthage, 15 juillet 1997 : 24 heures de poursuite

En 1997, je présente Musique Horizons sur Canal+ Horizons. Cet été là, Jimmy Cliff est à l’affiche du Festival International de Carthage. Pour un journaliste passionné de musique, c’est le genre d’invité qu’on coche en rouge dans son agenda.

Sur le planning, tout semble simple :

  • une interview prévue dans la foulée du concert,

  • un accord de principe avec le manager,

  • un créneau calé… en théorie.

En pratique, ce sera :

  • des rendez-vous reportés,

  • des horaires qui changent,

  • des “come back later”,

  • des intermédiaires peu fiables,

  • et 24 heures à courir après une confirmation.

Entre le manager, le promoteur et l’entourage, l’interview semble s’éloigner à chaque appel. Mais plus ça se complique, plus la détermination s’installe. Ce jour-là, je réalise que ce métier ne se résume pas à “poser des questions”. Il y a aussi tout ce travail en coulisses : insister, recadrer, relancer, garder le sourire… et ne pas lâcher.

Un couscous, un avion à prendre… et enfin Jimmy Cliff

Finalement, tout se joue le lendemain du concert, dans le hall de l’hôtel. J’arrive avec mon équipe, fatigué mais encore accroché à l’idée que l’interview est possible. Et là, je vois tout son entourage réuni avec les valises, prêt à partir à l’aéroport.

Le manager s’avance, s’excuse, explique que ce n’était pas possible, que le timing, que l’organisation… À ce moment-là, tout semble s’écrouler. On a couru pendant 24 heures, et tout indique que c’est terminé.

Sauf que je remarque un détail : Jimmy Cliff n’est pas là. Je demande à la réception, qui me confirme que lui partira plus tard. Alors je décide d’attendre. De longues minutes passent, et enfin je le vois sortir de l’ascenseur.

Là, je n’hésite pas une seconde. Je vais à sa rencontre, je lui explique la situation, les rendez-vous manqués, notre émission, notre attente. Il m’écoute, sourit, et me répond avec une simplicité désarmante :
il n’y a aucun problème, il a juste besoin de prendre un couscous au restaurant de l’hôtel, et ensuite il sera à moi.

Pendant qu’il déjeune tranquillement, nous montons le plateau, réglons le cadre, la lumière, le son. Une fois son couscous terminé, Jimmy Cliff tient sa promesse : il vient nous rejoindre et s’assoit pour cette interview que je n’oublierai jamais.

L’interview se fait dans l’urgence… mais sans stress. Jimmy Cliff parle de :

  • sa philosophie de vie,

  • ses principes,

  • son rapport au succès et à la spiritualité,

  • la place de la Jamaïque et de ses racines dans sa musique.

Ce que Jimmy Cliff m’a appris du métier

Avec le recul, cette interview m’a appris plusieurs choses essentielles sur ce métier de journaliste/animateur :

1. Une grande interview se mérite

Les plus belles rencontres ne tombent pas toujours du ciel. Il faut parfois courir derrière, négocier, patienter, revenir à la charge. C’est aussi ça, le respect de l’artiste et du public : ne pas se contenter de la facilité.

2. Derrière la star, il y a une personne

En partageant ce couscous avant de s’asseoir devant la caméra, Jimmy Cliff n’était plus seulement une légende du reggae. Il était un homme qui accepte de se livrer, de parler de ce qui le guide. Cette dimension humaine, on la sent dans sa musique comme dans ses mots.

3. Une interview, c’est une histoire

Ce qui reste, ce ne sont pas seulement les réponses, mais le chemin pour y arriver : les ratés, les imprévus, les hasards. Cette “traque” de 24 heures est devenue une histoire que je raconte encore aujourd’hui… et que je suis heureux de fixer enfin par écrit.


Pourquoi ce souvenir compte aujourd’hui

Alors que le monde rend hommage à Jimmy Cliff, je réalise que cette rencontre a contribué à façonner :

  • ma manière d’aborder les artistes : avec respect, curiosité, patience,

  • ma vision du journalisme musical : aller chercher la personne derrière l’icône,

  • et mon goût pour les coulisses, les histoires derrière les interviews.

Jimmy Cliff a ouvert des portes pour le reggae dans le monde entier, du cinéma avec The Harder They Come aux scènes internationales, en faisant entrer la musique jamaïcaine dans l’imaginaire collectif.

Pour moi, il reste aussi comme le visage d’une interview sauvée in extremis à Carthage, et comme le rappel très concret de ce qui me plaît dans ce métier : quelques minutes avec l’artiste… et toute la détermination qu’il faut déployer pour y arriver.


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